jeudi 25 mai 2023

Juin prochainement

J'écris depuis un bureau sur un ordinateur noir, sur une chaise noire à côté de laquelle une dizaine de fourmis font leurs affaires (sans doute à cause de la grosse plante morte qui traîne dans le bureau depuis maintenant près d'un an sans que quiconque ne se dévoue à s'en débarrasser, et certainement pas moi).

J'écris le regard éclaté par une expérience du sommeil lamentable depuis un peu moins de temps que la plante est morte. Comme il fair chaud, les veines de mes mains sont bien visibles et sur certains doigts, on dirait même des anneaux naturels. Comme il fait chaud, un léger hâle permet à mon visage de quasi-polonais d'avoir un air de plage. 

J'écris conscient que le temps m'est compté ET que chaque seconde m'appartient totalement.

D'autres meilleures thérapeutiques que l'écriture doivent exister... 

La nourriture en quantité de cerf ? L'escalade en salle ? La poterie à base de glaise et d'eaux usées ? La confection de mon propre pain-suisse ? Tout ça me parle sans me parler. M'imaginer le faire me suffit à l'effort. 

Alors l'écriture demeure, pilier garni de mille-neuf-cents visages de grimaçants démons, pilier, pilastre, passion. 

Peut-être qu'un bon psy peut-être m'aiderait. Un du genre généreux. Un qui paierait pour que je déblatère comment que j'ai eu peur quand mais comment aussi, en fait, j'avais d'excellentes raisons de. 

Un psy d'élite pour sûr sauverait mes yeux de l'insomnie, m'apprendrait à m'en foutre, à ne pas m'en vouloir, à passer à autre chose, autre vie, saison, histoire, à laisser la rose dans sa foutue roseraie foutrement épineuse... A TIRER UN TRAIT, DEFINITIF, SUR TOUTE ESPECE D'ESPOIR.

Sûr qu'un psy délicat, tranquille, saurait faire ça. 

Mais j'en connais pas. Alors j'écris depuis un bureau sur un ordinateur noir, sur une chaise noire à côté de laquelle une dizaine de fourmis font leurs affaires. Et j'aimerai pleurer ou un truc du style mais non. 

Elle ne le mérite pas.

mercredi 8 février 2023

A tout le mal que j'ai pu faire

La peau me tombe des os, mon ventre est noué à de nombreux endroits comme ces baudruches aux airs de chien qu'on donne aux enfants dans les foires, mon crâne est vide d'idées nouvelles, je l'aime.

Les heures, les jours, les semaines et les mois passent et accentuent les éléments présents dans l'énumération visible ci-dessus.

Je l'aime, la peau me tombe des os, je me lève en pensant au jour de la revoir, en espérant qu'elle reste naturel, bienveillante avec moi, et qu'elle finisse par pardonner un peu mon très étrange choix.

Je l'aime mais j'ai décidé d'exister seul quelques temps de peur de me lancer, trop rapidement et presque à contrecœur, dans une existence neuve où vaille que vaille, dans ce grand appartement de banlieue, nous aurions un enfant. 

Je ne savais plus penser à ce moment-là... mais je devais penser qu'il était nécessaire que j'y aille souriant plutôt que la tête pâle, que j'y aille enthousiaste plutôt qu'agacé par ses diverses exigences parmi lesquelles j'avais trop mauvaise place. Elle souhaitait vivre avec moi... Mais qu'était ce moi pour elle ? Je souhaitais vivre avec elle mais, qu'était ce je pour moi ?

Je l'aime mais il me faut me comprendre, je n'avais pas toute ma tête et elle m'imposait de la livrer entière. 

Alors, je suis resté, alors elle est partie, alors immédiatement, tout de suite j'ai compris. 

Bien qu'on soit différents, bien qu'on soit quelquefois dans des mondes contraires, je l'aime et évoluer sans elle revient, non pas à ne pas vivre, ce serait ridicule, mais à vivre à côté de ma volonté propre, c'est-à-dire non plus à contrecœur mais sans cœur véritable. 

Alors depuis je l'aime et je lui fais savoir et depuis, c'est elle qui hésite, c'est elle qui se tâte, tant mes hésitations ont pu lui faire du mal.

"Mérité" dirait l'autre ! 

Je l'aime, ma peau tombe de mes os mais tant qu'il m'en restera...

Je l'aimerai, lui dirai, qu'ensemble nous pouvons non seulement ressusciter, mais créer de toutes pièces une nouvelle joie. 

Je l'aime et je veux que cette joie ait mes yeux et sa bouche.

Je l'aime...

Peut-être dans neuf mois 

Cette joie pleurera pour qu'on change sa couche. 




lundi 7 novembre 2022

La question se pose

Le chien donnait la patte mais il n'y avait qu'un os, luisant et tendineux, à peine recouvert d'une touffette de poils. Le chien avait passé la nuit dans le froid... Non, les nuits dans le froid, toutes les nuits quasiment. Dans le froid ou le vent poisseux d'été, à renifler, bien malgré lui, les odeurs méphitiques de son maître.

Mais il donnait la patte quand même. Il avait beau avoir perdu un œil dans toutes ces histoires nocturnes, il avait beau avoir reçu autant de raclées qu'un fils unique élevé par un unique parent - désemparé et sombre abruti - imbibé du matin jusqu'au soir (ce qu'il était, de fait, à une bipédie et deux trois habitudes alimentaires près), il avait beau n'avoir reçu du monde extérieur que des gages de mépris à l'exception d'une poignée de sucreries (qui le rendirent malades comme un chien), ce chien dont des pans entiers de chair coulaient comme cires de ses membres amaigris, cassants comme le bois sec, donnait la patte quand même. 

Il y a sur Terre des amoraux fondamentaux * ayant eu droit, outre leur ignominie de fond, de cueillir sept jours par semaine de suggestives pommes et de s'en faire repas afin de vérifier si l'esthétique de ces gros fruits pendus n'était pas que de l'esbrouffe (et généralement, sauf pour les mangues, étrangement, l'impression se confirme et les beaux fruits sont aussi les bons fruits). Et puis il y a ce chien, innocent comme tout chien (et homme), qui malgré son noble caractère et ses yeux argentés, aura dégusté plus souvent au sens figuré qu'au sens propre. 

* je n'oublie pas que ses amoraux fondamentaux ne l'étaient sans doute pas avant quelque traumatisante rencontre avec un oncle, une tante, un confesseur, un voisin, un juge pour enfants, un musicien, une musicienne, un apprenti, un chef de gare, un professeur de sport, un boulanger, un frère, un ami de la famille, un moniteur de ski, un laitier, une avocate, un déséquilibré, un homme droit dans ses bottes, un jeune homme exemplaire, un garçon taciturne, un amateur de musique folk, un maître-nageur, un maître d'hôtel, un maître de dojo, un animateur de télévision, un présentateur de télévision, un acteur de télévision, un producteur de télévision, un réalisateur de télévision, un membre du staff, un mec dans l'événementiel, un type un peu louche, un directeur d'agence de pub, un ami des stars, un jardinier, un militant transphobe, un bonhomme qui a ses entrées dans le milieu de l'opéra qui peut t'avoir des places comme ça rien qu'en claquant des doigts, un Youtubeur vulgarisateur scientifique à plus d'1 million d'abonnés, un... je m'arrête ici avant de me mettre à donner les noms de tous les violeurs d'enfants relativement célèbres (et encore en activité et toujours célèbres et toujours libres d'aller cueillir sept jours par semaine de suggestives pommes...) car une telle liste risque d'être infinie et de me faire vomir près d'un milliard de fois. 

Ce chien qui donne la patte et pourquoi ? Pour quelle récompense ? Aucune, sinon celle d'un tout petit peu de considération, d'une preuve qu'il existe, qu'il est unique et là bien vivant ce chien. Ce pauvre chien fragmenté dont une partie du crâne est à l'air libre, dont des lambeaux d'une chair rouge grise font derrière lui comme une traîne de mariée... ce pauvre chien qui donne la patte dans le vide. 

Ces pauvres hommes, femmes et enfants que l'on ne croit pas. Par pudeur et protection du status quo, parce que ça fait peur un viol tout comme ça fait peur une patte de chien sanglante. Ca fait peur et ça sent mauvais... 

Mais c'est là et ça demande à l'aide. 

N'êtes-vous pas là pour ça ? Aider ? Ouvrir du mieux vos mains et vos oreilles ?

N'êtes-vous pas là pour ça ? 


?


Frantisek Kupka - La voie du silence


mercredi 20 octobre 2021

Carré de Malevitch

Souviens-toi que les morts viennent d'un lieu unique

Que tu courras bientôt sans pour autant le voir

Souviens-toi que ton corps n'est rien qu'une réplique

D'un corps qui visita l'invisible manoir. 




lundi 20 septembre 2021

(Prière de respecter les trois étoiles qui restent)

Qu'élaboraient-ils tous de si fondamental pour justifier l'abandon du silence ainsi que le refus des stases contemplatives ?

Qu'y avait-il dans ces verres engloutis, lapés, bus, aspirés, dissolus, d'aussi énorme et bon pour qu'ils s'y fixent absolument au détriment des arbres ou même d'un escargot ?

Quelle sensationnelle vérité rôdait près de ces bars, restaurants, terrasses, bureaux, stations-essence, rues, ruelles, trottoirs et avenue pour que ces lieux de désespérantes factures soient élus par des milliards d'humains comme l'endroit méritant tandis qu'un banc, un simple banc... farouche et vert chou, griffé partout ou presque, maudit de solitude, baisé, fichu, kaput... un simple banc brisé, craquante meringue pierreuse au dossier rôti par les fientes, erreur de la nature fabriquée pour dix balles à partir de parpaings et de boiseries destinées à nourrir cheminées, abomination, hasard, méprise... un simple banc débile et posé là, municipalement voté un soir de mars, cloué deux ans plus tard, saccagé dans la semaine puis oublié, oublié, oublié, à part par quelques zonards assez malchanceux pour se retrouver à côté de lui et assez blagueurs pour se dire qu'il y ferait bon dormir... un simple banc sauveur de vies avec vue sur pas tellement grand choses : des feuilles et de l'humidité, des remuements de rats, des raffuts de fourmi, des bruissements de poussières auparavant brindilles ou adventices trèfles... un simple banc raté, pété comme une gouttière, visqueux l'hiver, visqueux l'été, froid siège cauchemardesque qu'ados rares excepté, plus personne à présent, ne gratifiait d'une fesse le temps d'une tasse de thé... le temps d'une caresse... le temps de s'arrêter, de ranger l'appareil qui nous sert à penser... ados rares excepté (et les clodos, et des oiseaux vomisseurs de diarrhée), ce simple banc pourtant porte sur tout au monde, était charme invisible... 

Des milliers de milliers de milliers réunis sans le début d'un bout d'obligation dans des enceintes irrespirables dans le but d'entendre beaucoup moins bien la mélodie gazeuse mille fois entendue.

Des milliers de milliers de milliers réunis dans des malls impossibles, dans des halls impossibles, dans des rôles impossibles, tandis que le banc, le maudit banc, tout esseulé qu'il est, a l'Humanité dans sa manche...

Car au-delà des arbres maigres et de l'humidité, au-delà des immeubles et des rats, on pouvait voir grâce à lui en position assise sous réserve de lever un iota le visage, un dais indescriptible...

C'était

Rouge parfois

Noir souvent

Gris à l'occaz' 

C'était

Impressionnant comme la mer

Et apaisant comme elle

C'était annonciateur

Mais aussi, de temps en temps, selon l'humeur, en connexion directe avec le souvenir, qu'il fut amer ou formidable

C'était glacé et chaud comme quand on pleure

C'était ce qui a fasciné, enfant, votre petite sœur

Et vous

Et votre mère

Et votre père

Tous les enfants du monde avant qu'il dédeviennent

C'était

Sur ce banc simple, à demi-déjà sur les roses, abattu, annulé, remplacé par les herbes,

C'était... ce qu'on voyait 

Et ce qu'ont vus tous nos glorieux ancêtres

Et tout ce qu'il faut, malgré la faim, la flemme, protéger comme on peut, coûte que coûte, quitte à se croire invisible, inutile, et très seul...

C'était, depuis ce banc de rien, tout l'or et tout l'argent, 

Mariage de rubis

Collection de saphirs 

Armoire pleine à craquer d'extrêmes aigues-marines !

C'était le premier baiser et le dernier pareil.

C'était

Là où sont les étoiles et tous ceux qui nous aiment

C'était

Là où nous fûmes et là où nous serons

Là où nous manquerons...

C'était

Le ciel à l'horizon. 

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C

dimanche 22 août 2021

Réplique

Encore une nuit dans la lumière


Après trois semaines de pure grisaille qui auraient dû être les miennes mais qui, comme toutes les portions temporelles, sont tombées dans le bec des autres... dans la gueule irréelle des vacanciers réussissant... Je vais demain matin (en vérité aujourd'hui même) retâter des disgrâces et des compromissions chaleureusement encouragées en réintégrant l'univers du sacrosaint travail ; je vais me recaparaçonner de politesses feintes afin que mes supérieurs hiérarchiques puissent sans trop d'effort éperonner mes flancs mous ; je vais regrimper ces seize marches de fer, rouvrir ce rideau magnétique, rallumer ma machine, rasseoir mes fesses de plus en plus en proie aux crises (gazeuses comme hémorroïdaires), ranimer les mêmes discussions flasques avec les mêmes tel ou telle collègue ayant eux aussi vieillis de trois semaines sans pour autant changer. 

Car oui, ils seront là !

On aurait pu penser que trois semaines de réflexion suffiraient amplement à ce qu'ils fassent le constat du caractère intrinsèquement mauvais du salariat tel qu'il est pratiqué partout sur la planète (qui consiste, en gros, à demander à un être humain de se figer derrière un écran puis de tenir bon durant la période de temps - généralement 540 minutes - réclamée par l'employeur) et qu'au bout de ces "vacances" assurément instructives des mouvements sociaux se lanceraient organiquement avec pour but de bousculer l'ordre établi (ou du moins de gratter une semaine de congés supplémentaire). Mais non, demain, aujourd'hui, ils seront tous là comme moi, malheureux mais fidèles. 

Ils seront là et me raconteront des plages dont ils regrettent le sable, sable qu'ils espèreront repalper un poil grâce à la nécromancie du souvenir. Sauf que dans les faits, ce sable est déjà derrière eux et qu'il l'était dès lors qu'ils quittèrent la plage et remisèrent - tête basse - leurs serviettes au placard. 


Nous ne sommes que du présent et ça me terrifie.


Dans la lumière, dernière nuit. 

Füssli - Lycidas




jeudi 19 août 2021

Mais les soleils aussi font d'horribles cauchemars

La nuit venait d'avoir / raison de mes deux yeux

S'égrenant dans le noir / le chapelet sans croix 

Priait un autre Dieu  / que celui de la Loi

Et moi j'entendais tout de sa récitation... 


Des hommes heureux se trouvent y compris de nos jours 

Ils ne sont pas nombreux mais ils sont parmi nous 

Dans les transports, les parcs, on les croise partout

Sans pour autant les voir, comme on le fait d'amour 


Comme on le fait du soir se brisant tel du verre

En morceaux de minutes impossibles à ravoir.


*

La peau clouée par-dessus l'âme,

- Rivetée par un génie, un maître de son art -

J'étouffe et mon esprit ne peut que se débattre

Au bord de l'insomnie. 


... Quand je pense qu'à l'heure où je pense mal 

Des milliers de garçons et des milliers de femmes

Voguent sur des eaux somptueuses,

Je penche vers le canal 

Où mamie Ludmila eut l'idée de s'asseoir. 


C'est notre grand problème

Que de ne pas savoir 

Faire des choix positifs 


Que ce soit dans ma famille

Ou plutôt dans la vôtre 

La voie héliotropique n'a plus du tout la cote.


La nuit de son côté s'accaparait Dieu-même

Puisqu'on priait son frère depuis cet escalier

Autrefois une échelle...

Et qu'il n'y avait personne afin de le faire taire.


... Me crever les tympans et ces beaux yeux qu'ils bercent ?

Je vais dormir en vrai

Faire genre que je m'en vais visiter l'univers

Et que huit heures sans lui m'auront bien reposé.


Lui ne se repose pas.

Lui récite et se vexe que je n'aime que toi (c'est-à-dire moi beaucoup)

Mais ne sois pas jaloux 

Car je ne suis qu'une ex bientôt laissée sans le sou...

Excepté aux paupières,


Excepté pour passer

Là où vont les prières,


Excepté pour le trou.


*


La nuit venait d'avoir / raison de mes deux yeux

S'égrenant dans le noir / le chapelet sans croix 

Priait un autre Dieu  / que celui de la Loi

Et moi j'entendais tout de sa récitation...